soulager les douleurs lombaires

Prévenir et soulager les douleurs lombaires par le Yoga

Prévenir et soulager les douleurs lombaires par le Yoga est une approche qui peut être particulièrement intéressante et pertinente. Il ne s’agit pas pour autant de se lancer dans la pratique du yoga sans quelques précautions et d’éventuelles adaptations lorsqu’on a mal au dos. Muriel, Kinésithérapeute Ostéopathe et Yogini, nous révèle comment le yoga peut être bénéfique mais également les limites à prendre en compte pour une pratique sécure et épanouissante. Pour des raisons éthiques et afin de maintenir son équilibre au travail, elle souhaite rester anonyme.

 

Pouvez-vous vous présenter et nous dire comment est venu ce lien entre kinésithérapie/ostéopathie et le yoga? 

Bonjour aux lecteurs de KinéOweb et merci pour votre invitation Julien! Je m’appelle Muriel, je suis kinésithérapeute et ostéopathe. J’exerce en libéral depuis une vingtaine d’années. J’ai découvert le yoga lors de ma première grossesse, il y a 13 ans. Ce fut d’emblée une véritable passion. 

 

Evidemment, en tant que kiné, j’ai d’abord été attirée par le travail du corps, grâce aux postures. Je donnais déjà des cours de gymnastique et de Pilates au cabinet, alors petit à petit, j’ai ajouté une posture de yoga, par-ci, par-là. Au début, je dois avouer que c’était surtout pour amener de la variété et de l’originalité dans mes cours…Au niveau postural, le yoga est en effet une source d’inspiration sans limite! Puis, je me suis formée à la méthode Busquet, et j’ai pris conscience de la pertinence de ce travail global sur les chaînes physiologiques, que permet le yoga.  


Ensuite, j’ai progressé dans ma pratique personnelle de yoga, je me suis intéressée à la maîtrise du souffle, à la méditation et j’ai pris en pleine face les aberrations de ma vie quotidienne de kiné-ostéopathe libérale, mère de jeunes enfants !!!

 

Je vais caricaturer un peu ma vie professionnelle de l’époque. Je me réveillais déjà fatiguée avec la perspective d’une journée blindée (mon génial fils a fait sa première nuit à 3 ans) : crèche, école, bouchons, cabinet, 17 patients qui vont se plaindre, traités consciencieusement pourtant, puis marathon inverse. Je ne rêvais que de mon lit. Je n’avais plus aucun espace de liberté, ni de repos dans mon quotidien. J’étais bonne candidate pour le burn-out

 

Le yoga m’a alors appris à prendre soin de moi, à me respecter, à créer du temps. Le confinement fut ensuite le catalyseur. 

 

Une fois ce cheminement fait pour moi, je n’ai plus trouvé beaucoup de sens à mon travail de kiné-ostéopathe, que j’avais pourtant exercé avec passion. Comment soigner un patient, sans prendre en compte son contexte psycho-social? 

 

J’ai eu envie d’aborder mes patients de manière encore plus holistique, d’amener des changements dans leur vie quotidienne, en dehors de mon cabinet, dans leur rapport à la vie, à la douleur, à leur état de santé. J’ai également trouvé plus de sens dans le versant préventif de notre métier. 

 

Le yoga s’est donc imposé comme outil thérapeutique supplémentaire, pour enfin oser aborder mes patients de façon globale : un esprit en lien avec un corps, dans un environnement donné.

 

Les personnes souffrant de douleurs lombaires peuvent avoir des réticences à faire certains mouvements, une kinésiophobie peut s’installer. Pourquoi est-il au contraire important d’avoir une activité physique telle que le yoga pour soulager les douleurs lombaires? 

 

Certains patients, douloureux chroniques, deviennent kinésiophobes. De manière souvent inconsciente, ils surprotègent leur dos et évitent de le bouger.  Ce sont parfois des patients très actifs, mais qui bougent en permanence avec “un corset virtuel”.  Cela se traduit par exemple par la peur de se mettre à plat ventre sur notre table de massage : peur de la lordose !

 

C’est notre travail de kiné que de les faire sortir de ce cercle vicieux inconscient. La douleur chronique amène de la raideur, des contractures, de l’amyotrophie puis de la perte de confiance et de la dévalorisation. Cela forme un terreau propice à … la douleur!

 

Je ne milite pas pour que ces patients se mettent au yoga. S’ils prennent plaisir à faire du crossfit, de l’équitation ou de l’aquagym, je les y encourage bien sûr ! Le yoga ne peut pas plaire à tout le monde. Quelle que soit l’activité physique choisie, il faut par contre les éduquer à “bien bouger”, à utiliser toute leur mobilité et surtout à traquer les compensations. 

 

Les douleurs lombaires ont des origines très variées et certaines sont un frein définitif ou partiel au yoga. Quels sont les drapeaux jaunes et les drapeaux rouges ? 

 

Je ne suis vraiment pas d’accord avec cette affirmation qui entretient la peur du mouvement et l’idée que le dos puisse être fragile. Il n’en est rien. Le rachis est fait pour bouger. Le seul traitement durable du mal de dos lombaire est le mouvement. Je suis volontairement caricaturale pour bien transmettre l’idée aux lecteurs que le pire pour le dos est la sédentarité.

 

En effet, les drapeaux rouges, qui contre-indiquent le yoga, sont des cas plutôt rares et assez évidents. Si vous venez de faire une chute de 2 étages et que vous avez mal au dos, n’allez pas au yoga! Parfois, un traumatisme de faible intensité, tel le port d’un pot de fleurs, peut suffire à déclencher une fracture tassement, en cas d’ostéoporose. Là encore, une prise en charge médicale s’impose. 

 

Un autre cas fréquent de contre indication au yoga est la sciatique ou la cruralgie en phase aiguë. J’en parle ici, car les pratiquants avancés de yoga, qui y sont confrontés, ont du mal à admettre que le yoga ne puisse pas les aider à ce moment-là…alors que pour une fracture, cela leur semble naturel.

 

En conclusion, bien sûr, les traumatismes, infections, tumeurs, neuropathies, atteintes vasculaires et inflammatoires sont les drapeaux rouges habituels.

 

Le risque principal en réalité, pour une personne souffrant de lombalgie, est de tomber dans la chronicité. Ce risque peut être évalué simplement en écoutant son patient : ses croyances par rapport à la fragilité de son dos, les précautions qu’il prend pour le protéger, ses mauvaises représentations des causes de sa douleur, l’angoisse que sa douleur génère, son catastrophisme…Ce sont les drapeaux jaunes psychosociaux, à ne pas négliger. En effet, la douleur chronique lombaire n’est pas anodine, elle altère considérablement la qualité de vie et l’estime de soi. 

 

Les nouvelles approches de la douleur proposées par les neurosciences sont passionnantes et m’amènent à redire ici que les cas d’exclusion du yoga sont rares. L’énorme majorité des patients lombalgiques peut être prise en charge par le yoga, à condition d’adapter le yoga au patient! 

 

Le yoga est une pratique qui enchaîne des postures de relâchement, des postures dynamiques, du gainage… La respiration et la conscience de soi en sont également une partie intégrante. Quels sont les bénéfices et limites pour le patient lombalgique?

 

Derrière le mot Yoga, il y a une multitude de pratiques différentes et c’est vraiment là le problème pour un patient qui chercherait un cours adapté…

 

Je commence par les nombreux bénéfices.

Notre patient lombalgique va travailler sa mobilité, sa souplesse, sa force, la conscience de son périnée, de son transverse abdominal et de l’auto-grandissement. 

Il va renforcer ses membres inférieurs, travailler son appui monopodal, développer sa proprioception, son équilibre, se challenger dans des positionnements du corps complètement inhabituels, travailler sa mémorisation.

Évidemment, il va également apprendre à maîtriser sa respiration, son mental, ses émotions, méditer et se relaxer. 

Tout ça en une discipline! Le yoga en tant qu’outil thérapeutique pour les patients lombalgiques répond donc parfaitement aux recommandations de prise en charge de la HAS, la fameuse approche bio-psycho-sociale! 

 

Les limites à la pratique du yoga sont liées précisément à la variété des cours proposés. Je prends quelques exemples courants.

 

Imaginons une patiente lombalgique hyperlaxe. Elle va naturellement préférer les postures de souplesse, pour lesquelles sa laxité sera un avantage. Si elle pratique de manière autonome, il faudra qu’elle se force à ajouter des postures plus tonifiantes, pour espérer soulager sa lombalgie. Donc certaines formes de yoga, comme le Yin-yoga, sont trop passives pour être rééducatives. Elles peuvent cependant être une porte d’entrée vers la remise en mouvement.

 

D’autres formes de yoga, telles l’Ashtanga, sont au contraire, extrêmement dynamiques et exigeantes. Les alignements doivent être maîtrisés pour être sûrs. Il y a peu de possibilités d’adaptations pour le professeur, car le cours repose toujours sur le même enchaînement de postures. Cette pratique ne permet donc pas d’être assez progressif pour un patient lombalgique moyen.

 

J’aimerais ajouter aussi ici, avec beaucoup de tact et de respect, que dans l’ensemble, les professeurs de yoga souffrent d’un faible niveau de formation en anatomie et en biomécanique. Les enseignants de yoga peu expérimentés, classiquement très souples, peuvent avoir du mal à se représenter les difficultés des corps raides dans les postures. En outre, le yoga, c’est aussi des propositions de postures très intenses : les salutations au soleil, la chandelle, l’équilibre sur la tête, les pinces, le pont… qui peuvent être proposées avec peu d’échauffements. Cependant, la plupart des professeurs de yoga sont conscients de ces écueils, se forment, et tendent à rendre leurs cours plus adaptés

 

Enfin, il y a certaines formes de yoga, telles le Natha-Yoga, qui reposent essentiellement sur le corps énergétique. Je ne suis pas là pour juger ou non du bien fondé du travail énergétique. Sachez juste que dans ces cours, il y a très peu de travail sur le corps physique. 

En conclusion, certaines formes de yoga perdent cette approche globale, variée et surtout progressive, que nous recherchons précisément en tant que rééducateur pour nos patients lombalgiques

 

Comment intégrez-vous dans votre pratique des concepts issus du Yoga?

Actuellement, au cabinet, je propose deux types de séances : soit sur tapis, soit “à taaaaable” comme j’aime dire !

 

Sur table donc, je ne pratique plus que de l’ostéopathie. Le yoga m’aide en améliorant mon relationnel thérapeutique et mon centrage quand je travaille. Je suis devenue plus calme, plus ancrée et plus tolérante. Je suis certaine que cela m’a aidé à développer “ma main” et mon écoute. Du côté du patient, j’ai compris aussi l’importance de le centrer sur le soin. J’utilise les techniques classiques de respiration, de suggestion et de concentration pour le placer dans un état propice au traitement ostéopathique. 

 

J’accompagne aussi mes patients en gymnastique. Soit en individuel, soit en tout petit groupe. Typiquement, je vais accompagner les kinésiophobes, car ils seront rassurés par ma compétence de kiné. Progressivement, dans un climat bienveillant et avec le soutien du groupe, ils vont retrouver confiance en leurs capacités et très vite progresser. Les “peurs du plat ventre” sont en général levées en 2 ou 3 séances. Je ne parle pas de yoga au début, car les patients viennent me consulter parce que je suis kiné, pas yogini. Cependant, j’en utilise quasiment tous les outils déjà cités.

Pensez-vous que le yoga à visée thérapeutique peut trouver pleinement sa place en kinésithérapie dans les années à venir? 

Oui, je suis pleinement convaincue que le yoga a sa place dans nos cabinets de kinésithérapie, au même titre que du circuit-training par exemple, certes dans un genre différent! 

Nos patients sont friands de nos compétences, et rassurés par notre expertise sur le corps humain et la biomécanique. Ils ont besoin d’accompagnement pour la reprise sportive et la remise en mouvement. 

D’autre part, en tant que kinés libéraux, nous souffrons de nos conditions de travail éprouvantes et dégradées. Donner des cours de yoga spécifiques dans le cadre de : PTH, lombalgie, AVC, scoliose, maladie de Parkinson, cancer, prévention du vieillissement, péri-natalité… répond à la fois, à une forte demande et, est en outre, un moyen d’épanouissement professionnel puissant. Le tout, en renforçant notre expertise de rééducateur, pourquoi devrait-on s’en priver?

Enfin, de nombreux confrères souhaitent aborder leurs patients sur le versant psycho-social, mais ont des croyances limitantes pour le faire. Il m’a fallu des années aussi pour faire allonger mes patients en relaxation à la fin d’un cours de gym ou pour leur proposer de découvrir la cohérence cardiaque. J’estimais que la sécurité sociale ne me payait pas pour cela! Il est vrai que j’ai été formée au siècle dernierEn réalité, nos patients sont les premiers demandeurs de ce type d’approche, dès lors qu’ils les expérimentent!

 

Quelques mots pour conclure.

En parallèle de mon travail au cabinet, je développe un blog sur ma vision du yoga, “Adapter Son yoga.com”. Il est urgent que nous prenions aussi cette place sur les réseaux sociaux et le web. Quoi qu’on pense de cette évolution, nos patients cherchent des informations et des solutions sur ces supports. Apportons-leur des réponses qualitatives et valorisons notre compétence! 

Les voies d’épanouissement professionnel sont donc vraiment nombreuses à partir de notre formation initiale solide. 

 

Conclusion KinéOweb.

Un grand merci Muriel pour toutes ces précieuses informations. Vous avez également rédigé un livre numérique gratuit,  à l’intention des profs de yoga, mais qui intéressera également de nombreux kinés : Comment soulager les douleurs lombaires par le yoga sans danger?
C’était un plaisir d’échanger sur le sujet d’une approche complémentaire en kinésithérapie qui permet à la fois de prévenir le mal de dos mais également de soulager les douleurs lombaires dès lors que nous adaptons cette pratique à nos besoins et à nos goûts et qui de surcroît enrichie l’expérience professionnelle du thérapeute.