Interview de Xavier Mallamaci: Kinésithérapeute pour musiciens
Si vous doutiez que la kinésithérapie peut cibler des niches très variées vous allez être surpris.e. Nous avions interviewé Aude Jasmin Chavigny sur l’activité hors nomenclature il y a quelques semaine et aujourd’hui nous allons voir un cas concret et original d’un kiné qui allie passion et kinésithérapie. Partons sans plus attendre explorer les spécificités d’un kinésithérapeute pour musiciens. C’est un immense plaisir d’accueillir Xavier Mallamaci, kinésithérapeute et formateur, qui accompagne les musiciens en prévention et en soin.
Peux-tu te présenter et nous dire ce qui t’a amené à devenir kinésithérapeute pour musiciens spécifiquement?
Salut! Et merci pour cette interview!
Je m’appelle Xavier, je suis kiné depuis 2010, diplômé de l’IFMK de Lyon, et musicien chevronné depuis un peu plus longtemps que cela. Je suis bassiste et chanteur dans deux groupes orientés rock avec lesquels je reprends avec plaisir les standards du genre et particulièrement l’ensemble de l’œuvre des Pink Floyd.
Comme beaucoup de nos confrères, et même en étant moi-même musicien, je n’avais jamais entendu parler de cette prise en charge spécifique avant d’être moi-même confronté à quelques problématiques physiques liées à une augmentation assez soudaine (et inadaptée) de travail à l’instrument.
A l’époque, j’étais encore étudiant kiné, et en cherchant un peu de littérature sur la question, je suis resté abasourdi face au peu de ressources bibliographiques sur le sujet. Malgré tout, je suis tombé sur deux ouvrages (Gestes et Postures du Musicien, Marie-Christine Mathieu et Le musicien, un sportif de haut niveau, Coralie Cousin) qui m’ont fait prendre conscience des enjeux physiques du jeu instrumental et de mon souhait grandissant de m’investir dans cette branche passionnante de notre si beau métier.
Aujourd’hui, après plusieurs années de formation et de recherche sur cette question aussi vaste que le nombre d’instruments de musique existants, je m’épanouis dans cette “spécialité” quasiment à plein temps, en cabinet mais aussi et surtout au sein même des Orchestres Nationaux, des Opéras et des nombreux conservatoires français dans lesquels je propose des interventions de prévention et d’approche thérapeutique des TNMS du musicien… mais pas que! Au-delà du soin, proposer une approche physiologique du geste instrumental permet d’accompagner les musiciens dans la recherche sans fin d’un son toujours meilleur – en préparation de tournée, de concert, de studio… – et ce pan là de mon activité est peut-être le plus enthousiasmant personnellement.
Outre la musique classique, milieu dans lequel j’ai le plus d’activité, je reste très actif dans les musiques actuelles et tente de développer une prévention spécifique aux instruments amplifiés notamment avec ma chaine Youtube Rocking Care.
Globalement, toutes les infos sur mon activité sont dispo sur mon site web
Quelles sont les problématiques particulières des musiciens auxquelles peuvent répondre les kinés ?
La problématique la plus prégnante pour cette population, c’est probablement la confusion entre tendinopathie et syndrome de surmenage musculaire.
La symptomatique en étant relativement proche, le diagnostic posé par le corps médical jouera souvent en faveur d’une tendinopathie, avec un traitement associé qui ne fonctionnera pas et surtout une certaine errance médicale qui peut très rapidement porter préjudice au musicien, à sa motivation et à ses capacités de résilience.
S’il fallait donc désigner une problématique touchant particulièrement les musiciens et peu connue à la fois du public et, finalement, des professionnels (tout du moins pas suffisamment rencontrée dans le quotidien pour être suffisamment éclairé sur la question), c’est bien le syndrome de surmenage musculaire.
Outre cette problématique que l’on rencontre très souvent dans ce milieu mais qui s’appréhende plutôt bien dans le soin, une autre pathologie semble toucher les musiciens bien plus fréquemment que le reste de la population : la dystonie focale (ou de fonction).
Relativement rare même dans la musique, c’est à la fois ce qui la rend difficilement dépistable dans les premiers mois car méconnue et complexe à diagnostiquer (le plus souvent par élimination). Ce qui rend dramatique ce retard de détection, c’est l’aspect de plus en plus incurable que revêt cette pathologie si le musicien insiste dans des contraintes de jeu inadaptées et que le temps passe sans qu’une véritable prise en charge ne soit mise en place.
En dehors de ces deux pathologies, les problématiques que peuvent rencontrer les musiciens ne sont pas forcément ultra spécifiques à leur pratique, mais la façon de les traiter, elle, devra l’être, pour éviter toute rechute ou aggravation des lésions liées à l’utilisation inadaptée d’un instrument de musique et ses accessoires.
Tu organises des formations pour les thérapeutes, quels sont les points clés que tu abordes pour une approche spécifique au musiciens ?
L’essentiel tourne autour de trois éléments majeurs des sollicitations physiques du musicien : le lien entre geste et son, la gestion d’une position statique exigeante et l’apnée du musicien.
Dans le premier module d’initiation (oui car la formation se fait ensuite à la carte en fonction de tes accointances avec telle ou telle famille d’instruments, on appréhende les contraintes spécifiques au jeu instrumental debout et assis, au rôle du membre supérieur dans le geste instrumental et à la gestion de la respiration du musicien, tant dans le cas d’un instrument à vent que d’un non-à-vent.
Au-delà des aspects purement théoriques, l’une des forces de cette formation est probablement dans la concrétisation de ce contenu au travers de cas cliniques auprès de patients musiciens qui nous rendent visite durant chaque session mais aussi par l’intervention systématique de musiciens de très haut niveau (souvent des solistes de grands orchestres) qui partagent avec nous leur expérience, leur approche instrumentale et tant qu’à faire … un petit concert privé et exclusif!
Tu proposes également une formation orientée pour les professionnels de musique, quelles sont les différences ?
Le contenu en sera surtout différent dans l’approfondissement des notions abordées. Entre confrères, on peut se permettre de creuser chaque détail avec la plus grande précision, mais aussi d’aborder l’aspect thérapeutique que nous n’abordons pas (ou très peu à titre informatif) auprès des professionnels de musique.
Le petit plus pour ces derniers sera sur l’aspect de la transmission pédagogique de toutes ces notions, avec l’objectif qu’ils puissent proposer tous ces éléments de compréhension à leurs élèves et étudiants de la manière la plus efficace possible, un pan préventif majeur au-delà de notre propre activité!
Comment faire pour rejoindre tes formations et sont-elles prises en charges ?
Toutes les formations sont planifiées ici, il est possible de s’inscrire directement en ligne ou de me contacter via le formulaire du site pour plus d’informations.
Il existe également quelques webinaires décrivant en détails le contenu et les conditions pratiques de chaque formation, le dernier en date est juste ici : Soigner les musiciens : A votre portée! Webinaire Formations Musician Care
Les formations Musician Care sont éligibles à une prise en charge FIF-PL.
Comment vois-tu l’avenir de la kinésithérapie ?
Grande question…
Tout dépend si l’on parle du rapport conventionnel de la kinésithérapie au système actuel ou si l’on décide de traiter de l’importance de la kinésithérapie en elle-même dans le paysage français de la santé.
Concernant le premier point que j’évoque, plutôt que de te donner strictement ma vision sur la question, je vais plutôt te décrire le tournant qu’a pris mon activité depuis fin 2022, à mon sens tout à fait symptomatique et révélateur de la situation : auparavant, je travaillais sur trois tiers d’activités : les musiciens, l’activité de cabinet de ville grand public, et les soins en EHPAD.
J’ai renoncé fin 2022 à continuer mon activité de cabinet de ville (activité que j’exerçais seul, un patient/demi-heure), résigné, tout simplement parce que celle-ci ne me permettait plus d’assumer convenablement l’ensemble des charges de mon activité mais aussi parce que la pression démographique et la détresse des patients devenaient personnellement très difficile à accepter, impuissant à aider tout le monde. Je suis sûr que tous nos confrères qui liront ceci se reconnaîtront.
J’ai tenu 12 ans dans ce système à 16,13€/demi-heure et les listes d’attente à rallonge. Je ne parvenais plus à assumer le principe d’un délai de rdv à plusieurs mois pour des post-op… Indécent, et pourtant inévitable en l’état actuel.
Pour ce qui est du second point, à savoir l’importance de la kinésithérapie dans le paysage de la santé et son avenir, je vois là au contraire une profession au potentiel incroyable et à la dynamique boostée à la sauce EBP! Je suis passionné par notre métier et tout ce qu’il peut offrir au champ thérapeutique qui s’ouvre à une prise en charge toujours plus performante, efficace et confortable (prenant compte de la douleur du patient) pour le patient.
Je vois pulluler partout des offres de formation toutes aussi stimulantes et enthousiasmantes les unes les autres, et tout autant de kinés passionnés qui portent à bout de bras une dynamique que je trouve particulièrement exceptionnelle dans le monde médico-social.
Je suis heureux et honoré de proposer soins et formations aux patients et aux confrères et ne doute pas un instant en l’avenir de notre profession, pourvu que son potentiel soit enfin reconnu à la hauteur de sa valeur!